– Abeille et araignée, by Selma LAGERLÖF.
1. Maintenant que le temps du travail est revenu, on me demande souvent comment j’ai passé les vacances. Aucun autre souvenir ne s’est gravé dans ma
mémoire. J’ai l’impression d’avoir été assise à longueur de journée sous la véranda, derrière le rideau de rosiers, buvant parfum et soleil. Mais à quoi me suis-je donc occupée? Eh bien, j’ai
regardé travailler les autres.
Il y avait là une petite abeille tapissière (1) qui besognait du matin au soir. Dans les limbes verts et mous des feuilles, elle sciait avec
ses mandibules tranchantes un petit ovale bien net, le roulait comme un tapis et, le précieux fardeau pressé contre son corps, elle voltigeait vers le parc et se posait sur une vieille
souche d’arbre. Puis elle s’engageait dans de sombres couloirs et de mystérieuses galeries jusqu’au fond d’un puits vertical. Dans cette profondeur inconnue, où ne se risquerait aucune fourmi
ni aucun mille-pattes, elle développait le rouleau de verdure et couvrait ainsi le sol inégal d’un somptueux tapis. Le sol couvert, la petite abeille revenait chercher de nouveaux fragments
de feuilles pour en tapisser les parois du puits. Elle travaillait avec une telle ardeur qu’il n’y eut bientôt plus une seule feuille du rosier qui n’eût une petite découpure ovale, preuve
manifeste (2) que le rosier avait, bien malgré lui, contribué à l’ornementation du vieux tronc d’arbre.
Un jour, la petite abeille changea d’occupation. Elle s’enfonçait
entre les pétales aux bords déchiquetés des belles roses et, dans ces jolis garde-manger, elle suçait et buvait avidement le suc; ensuite, elle s’empressait de retourner à la vieille
souche pour remplir de miel limpide le cabinet aux tentures vertes.
2. La petite abeille n’était pas seule à travailler dans les rosiers. Il y avait aussi une araignée,
une araignée magnifique. C’était la plus grosse araignée que j’aie jamais vue; elle était d’une couleur orange, avec une croix nettement dessinée sur le dos, et elle avait huit longues pattes
rayées de rouge et de blanc, toutes également bien marquées. Et j’aurais voulu que vous l’eussiez vu filer! Chaque fil était tiré avec une extrême minutie, depuis les tout premiers, qui servaient
uniquement d’attache et de soutien, jusqu’aux fins filaments du milieu de la toile. Il fallait voir avec quelle adresse elle avançait en se balançant comme sur la corde raide, le long des fils
minces, pour saisir une mouche et pour regagner son trône au centre de la toile, où elle attendait ensuite pendant des heures, immobiles, attentive.
3. Cette grosse araignée
orange gagna mon coeur par sa patience et sa sagesse. Tous les jours, elle eut maille à partir avec l’abeille tapisière, et chaque fois elle se tira de cette rencontre avec un tact infaillible.
L’abeille, dont le chemin passait près de la toile, s’y faisait fréquemment prendre. Aussitôt, elle se mettait à bourdonner et à se débattre au grand dommage du fin réseau. Elle se comportait
comme une folle, ce qui avait pour résultat de l’y empêtrer de plus en plus, jusqu’à avoir pattes et ailes enveloppées de fils puisseux et gluants.
4. Lorsque l’abeille se trouvait enfin épuisée et paralysée, l’araignée s’approchait d’elle, tout en restant à distance respectueuse, puis avec l’extrême pointe d’une de ses
élégantes pattes rayées, elle donnait à l’abeille une petite poussée, qui la faisait tournoyer. Quand la captive s’était de nouveaux épuisée à bourdonner de rage impuissante et à se débattre,
elle recevait une seconde petite tape des plus légères, puis encore une et encore une, jusqu’à ce que, saisie de vertige après avoir tourné comme une toupie, elle fût hors d’état de se défendre.
Mais au cours de ce tourbillonnement, les fils qui la tenaient suspendue avaient fini par être si tordus qu’ils se rompaient et l’abeille tombait à terre. C’était manifestement le but visé par
l’araignée.
Et ce tour d’adresse, elles le refirent, ces deux-là, jour après jour, tant que l’abeille travailla dans les rosiers. Jamais la petite tapissière n’apprit à
se garer de la toile et jamais l’araignée ne montra de colère ni d’impatience. Ils me devenaient sympathiques tous les deux, l’ardente petite travailleuse velue et le grand chasseur rusé.
Selma LAGERLÖF .
L’auteur a observé avec beaucoup de patience et une attention soutenue le comportement d’une abeille et d’une araignée qui vivaient l’une
près de l’autre. Il ne cache pas sa sympathie pour ces deux petits êtres qui savent travailler avec tant de délicatesse et d’application et dont le comportement est parfois bien étonnant.
………. ÉTUDIONS LE TEXTE ……….
1. Que pensez-vous de l’occupation de l’auteur pendant les vacances :
boire parfum et soleil et regarder travailler les autres?
Cette abeille tapisière a une activité bien amusante; mais les abeilles de notre pays travaillent,
elles aussi; que font-elles?
2. Si l’abeille peut être comparée à une modeste petite ouvrière, à qui pourrait-on comparer l’araignée.
3. Expliquez, en vous aidant du dictionnaire: avoir maille à partir, un tact infaillible.
4. Quels renseignements nous donne la conclusion de l’auteur, en ce qui concerne le comportement de l’abeille et de l’araignée? .
Peut-on parler, à propos d’elles, d’intelligence? Expliquez votre réponse avec l’appui d’autres exemples.
………. SERVONS-NOUS DU TEXTE ……….
En prenant modèle sur la description que l’auteur a faite de l’araignée (paragraphe 2) essayez de faire la description de l’abeille.
De la même manière, en prenant modèle sur la première phrase du paragraphe 4 : « Lorsque l’abeille… », décrivez un moineau dévorant un hanneton, un chat
saisissant une souris.
source
ÉDITIONS DE L’ÉCOLE
LANGUE FRANÇAISE
COURS ÉLÉMENTAIRE
L. HARTMANN – E. DUTREUILH