Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie;
Il tourne et tourne, et sa voile (1) couleur de lie
Est triste et faible et lourde et basse, infiniment.
Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte, (2)
Se sont tendus et sont tombés; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l’air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.
Un jour souffrant d’hiver sur les hameaux s’endort,
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombre, (3)
Les ornières s’en vont vers un horizon mort.
Autour d’un vieil étang, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond;
Une lampe de cuivre éclaire leur plafond
Et glisse une lueur aux coins de leur fenêtre.
Et dans la plaine immense, au bord du flot dormeur,
Ces torpides (3) maisons, sous le ciel bas, regardent,
Avec les yeux fendus de leurs vitres hagardes,
Le vieux moulin qui tourne, et las, qui tourne et meurt.
E. VERHAEREN. – Les Soirs. (Mercure de France. Édit.)
1. Voile. La toile des ailes. – 2. Des bras de plainte. Comme des bras qui font des gestes de plainte. – 3. Ombres. Le soir, les ombres se font plus épaisses; elles ont
l’air de se rassembler. – 4. Torpides. Plongées dans la torpeur.
source
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LES TEXTES FRANÇAIS
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE SUPÉRIEUR PRÉPARATION AUX BREVETS 1ère année
J.-R. CHEVALIER Professeur agrégé au Lycée Henri IV P. AUDIAT Agrégé Docteur ès lettres E. AUMEUNIER Professeur de l’École Primaire Supérieure