Romancier, Alphonse Daudet est très original et très grand. Le réaliste, c’est lui, et non M. Zola : l’auteur lui-même des Rougon-Macquart
le confessait loyalement. Daudet est comme « hypnotisé » (c’était son mot) par la réalité. Il « traduit » ce qu’il a vu, et le transforme, mais seulement ce qu’il a vu. Ses
livres, construits sur des impressions notées ( les fameux « carnets »=, participent encore quelquefois du décousu de ces impressions, en même temps qu’ils en conservent l’incomparable
vivacité. – Ses personnages ne nous sont présentés que dans les moments où ils agissent; et il n’est pas un de leurs sentiments qui ne soit accompagné d’un geste, d’un air de visage, commenté
par une attitude, une silhouette. C’est à cause de cela qu’ils nous entrent si avant dans l’imagination et qu’ils nous restent dans la mémoire… Les personnages des romans
« psychologiques » redeviennent pour nous, la lecture finie, des ombres vaines. Mais, presque autant que le pesant Balzac, Daudet, de sa main légère, pétrit des êtres qui continuent de
vivre, et « fait concurrence à l’état civil ».
Ce réaliste est cordial. Il aime, il a pitié; il ne dédaigne point. Il s’est préservé de ce pessimisme brutal et méprisant qui fut à la mode et qui s’appela, on ne sait pourquoi,
le naturalisme. Alphonse Daudet a été, dans un coin de tous ses livres, le poète affectueux des petites gens et des humbles destinées.
Mais ce réaliste à mi-côte est aussi un grand historien des moeurs, et qui s’est trouvé aisément égal aux plus grands sujets.
JULES LEMAÎTRE, Figaro, pour les obsèques de Daudet. (Nimes 13 mai 1840- Paris 16 décembre 1897)
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COURS DE LITTÉRATURE
XXIX – XXX
LES MORALISTES ET LES ROMANCIERS
PAR FÉLIX HÉMON
LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE