Le mercenaire du diable, by Paul-Loup SULITZER, Livre de Poche Dépôt légal 1999

FICHE TECHNIQUE DU LIVRE

Edition :   Le Livre de Poche   numéro : 14561

IMPRIMÉ EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN
Usine de La Flèche (Sarthe).
LIBRAIRIE GÉNÉRALE FRANÇAISE

© 1997, Éditions Stock.

Reliure :   Brochée sur carton souple, illustrée couleurs in recto.
Illustration de Christian Broutin.

EXTRAIT   Le mercenaire du diable by Paul-Loup SULITZER   page : 39

  Kopp traversa la Seine par le pont de l’Alma. La journée était passée vite, ce qu’il aimait. Il fallait, pour qu’il se sente vivre, que les heures soient dévorées par les actes, ainsi il oubliait qu’il vivait, et donc il vivait pleinement, d’instinct, sans penser à la vie. C’était un paradoxe dont il avait parfois essayé de parler, mais le plus souvent ses interlocuteurs, des officiers des services de renseignement au temps où il servait dans l’armée, ou bien des grands patrons, clients de l’Ampir, ne paraissaient pas comprendre. Et Kopp finissait par se taire, mécontent d’avoir essayé de s’expliquer.
  Le seul avec qui il avait pu échanger quelques phrases sur son mode de vie était un vieil agent du MI 6, Graham Galley, qu’il avait retrouvé au moment de l’affaire Ordo Mundi, quand Kopp avait démantelé cette secte qui prétendait regrouper les Maîtres de la Vie. Galley était l’un de ces spectateurs engagés mais ironiques qui restent lucides en toute circonstance. Il aimait bien Kopp. Et Kopp le savait. Galley était un allié.
  Tout en conduisant, Kopp déplia la page qu’il avait arrachée dans le classeur, et la posa derrière le volant, sur le tableau de bord.
  Martha Bronek avait aussi les hanches larges et elle ne ressemblait au type de mannequins que semblait affectionner Mariella Naldi que par la maigreur. Les os lui perçaient la peau, mais elle avait de gros seins, comme des protubérances presque étrangères à ce squelette.
  Kopp eut tout à coup envie de caresser une de ces femmes un peu replètes qu’il aimait, quand on prend le corps à pleines mains et qu’on s’en donne à pleine bouche, que c’est onctueux comme une crème dans laquelle on plonge son visage, tel un enfant glouton.
  Mais cela faisait longtemps qu’il ne succombait plus à l’un de ces coups de coeur ou de corps aux-quels, avec délectation, il se livrait naguère. Il voyait Viva, la seule des collaboratrices de l’Ampir qui avait tenu le coup, ou survécu. Mais Viva n’était qu’une liaison régulière et paisible, sans surprise. Elle savait mêler l’expérience et l’enthousiasme, bref, faire naître le désir et faire croire qu’elle en éprouvait. Que demander de plus?
  Il demandait plus.
  Il pensa à Mariella Naldi avec un mélange d’irritation et de sympathie. Ce devait être l’une de ces fausses maigres qu’on découvre, quand elles sont nues, douces et pleines au palais comme un vin savoureux, ni trop riche, ni trop léger, entre le bordeaux et le beaujolais, un vrai bourgogne en somme.
  Il en eut l’eau à la bouche.
  Et elle comptait se débarrasser de lui d’une simple phrase ou d’un coup de poing de Branko entre les épaules!
  Kopp s’engagea sur le périphérique en direction de l’autoroute A 6, qu’il comptait prendre pour regagner la Ferme, siège de l’Ampir. Il roulait lentement, parce que la circulation était dense, souvent ralentie par des camions. Il composa le numéro de téléphone qui se trouvait sur la page, au-dessous de la photo de Martha Bronek. Le numéro n’était pas attribué. Il appela la Ferme. Il eut Hélène d’abord, mais ni elle ni son mari, Charles, n’avaient aperçu Alexander. Kopp chargea les gardiens de demander à Alexander de le rappeler dans la voiture, car il n’arriverait à la Ferme que dans une heure environ. L’autoroute, en cette fin de journée, se chargeait de plus en plus.
  Bientôt, en effet, il avança au pas, mais cela ne le dérangeait pas. Il avait une décision à prendre. Fallait-il qu’il reste dans cette affaire où on ne voulait plus de lui? Maisétait-ce là une raison pour renoncer ç un défi intéressant à relever? Mariella Naldi lui semblait attirante et rétive, forte et faible, avec une peau brune comme il les aimait et un visageénergique, de ceux qui le séduisaient, dont il avait envie de connaître l’âme, sûrement complexe. Elle devait avoir une histoire étrange, une vie singulière puisque, jolie femme, jeune encore, elle était à la fois à la tête d’une des grandes maisons de coutures européennes, et qu’on trouvait chez elle, sur son lit, un cadavre profané, des signes diaboliques tracés sur les murs, et qu’elle portait dans son sac un automatique qu’elle savait tenir à deux mains, même si elle se laissait surprendre. Et Branko, son chauffeur, n’avait ni le physique ni les méthodes du chauffeur d’un maître paisible et rangé.