29. – La mort du dauphin.
Le petit Dauphin est malade, le petit Dauphin va mourir… Dans toutes les églises du royaume, le saint Sacrement demeure exposé nuit et jour et de grands cierges brûlent pour la guérison
de l’enfant royal. Les rues de la vieille résidence sont tristes et silencieuses , les cloches ne sonnent plus, les voitures vont au pas… Aux abords du palais, les bourgeois curieux regardent,
à travers les grilles, des uisses à bedaines dorées qui causent dans les cours d’un air important.
Tout le château est en émoi… Des chambellans, des majordomes montent et descendent en courant les escaliers de marbre… Les galeries sont pleines de pages et de courtisans en habits de
soie qui vont d’un groupe à l’autre quêter des nouvelles à voix basse… Sur les larges perrons, les dames d’honneur éplorées se font de grandes révêrences en essuyant leurs yeux avec de jolis
mouchoirs brodés.
Dans l’Orangerie, il y a nombreuse assemblée de médecins en robe. On les voit, à travers les vitres, agiter leurs longues manches noires et incliner doctoralement leurs perruques à
marteaux… Le gouverneur et l’écuyer du petit Dauphin se promènent devant la porte, attendant les décissions de la Faculté. Des marmitons passent à côté d’eux sans les saluer. M. l’écuyer jure
comme un païen. M. le gouverneur récite des vers d’Horace… Et, pendant ce temps-là, là-bas, du côté des écuries, on entend un long hennissement plaintif. C’est l’alezan du petit Dauphin que les
palefreniers oublient et qui appelle tristement devant sa mangeoire vide.
Et le roi? Où est monseigneur le roi?… Le roi s’est enfermé tout seul dans une chambre, au bout du château… Les Majestés n’aiment pas qu’on les voie pleurer… Pour la reine, c’est
autre chose… Assise au chevet du petit Dauphin, elle a son beau visage baigné de larmes, et sanglote bien haut devant tous, comme ferait une drapière.
Dans sa couchette de dentelles, le petit Dauphin, plus blanc que les coussins sur lesquels il est étendu, repose, les yeux fermés. On croit qu’il dort; mais non. Le petit Dauphin ne dort
pas… Il se retourne vers sa mère, et, voyant qu’elle pleure, il lui dit :
« Madame la reine, pourquoi pleurez-vous? Est-ce que vous croyez bonnement que je m’en vas mourir? »
La reine veut répondre. Les sanglots l’empêchent de parler.
« Ne pleurez donc pas, madame la reine; vous oubliez que je suis le Dauphin, et que les Dauphins ne peuvent pas mourir ainsi… »
La reine sanglote encore plus fort, et le petit Dauphin commence à s’effrayer.
« Holà, dit-il, je ne veux pas que la mort vienne me prendre, et je saurai bien l’empêcher d’arriver jusqu’ici… Qu’on fasse venir sur l’heure quarante lansquenets très forts pour monter
la garde autour de notre lit!… Que cent gros canons veillent nuit et jour, mèche allumée, sous nos fenêtres! Et malheur à la mort si elle ose s’approcher de nous!… »
Pour complaire à l’enfant royal, la reine fait un signe. Sur l’heure, on entend les gros canons qui roulent dans la cour; et quarante grands lansquenets, la pertuisane au poing, viennent
se ranger autour de la chambre. Ce sont des vieux soudards à moustaches grises. Le petit Dauphin bat des mains en les voyant. Il en reconnait un et l’appelle :
« Lorrain! Lorrain! »
Le soudard fait un pas vers le lit :
« Je t’aime bien, mon vieux Lorrain… Fais voir un peu ton grand sabre… Si la mort veut me prendre, il faudra la tuer, n’est-ce pas? »
Lorrain répond :
« Oui, monseigneur… »
Et il a deux grosses larmes qui coulent sur ses joues tannées.
A ce moment, l’aumônier s’approche du petit Dauphin et lui parle longtemps à voix basse en lui montrant un crucifix. Le petit Dauphin l’écoute d’un air fort étonné, puis tout à coup
l’interrompant :
« Je comprends bien ce que vous me dites, monsieur l’abbé; mais enfin est-ce que mon petit ami Beppo ne pourrait pas mourir à ma place, en lui donnant beaucoup d’argent? »
L’aumonier continue à lui parler à voix basse, et le petit Dauphin a l’air de plus en plus étonné.
Quand l’aumonier a fini, le petit Dauphin reprend avec un gros soupir :
« Tout ce que vous me dites là est bien triste, monsieur l’abbé, mais une chose me console, c’est que là-haut, dans le paradis des étoiles, je vais être encore le Dauphin… Je sais que le
bon Dieu est mon cousin et ne peut pas manquer de me traiter selon mon rang. »
Puis il ajoute, en se tournant vers sa mère :
« Qu’on m’apporte mes plus beaux habits, mon pourpoint d’hermine blanche et mes escarpins de velours! Je veux me faire brave pour les anges et entrer au paradis en costume de Dauphin.
»
Une troisième fois, l’aumônier se penche vers le petit Duphin et lui parle longuement à voix basse… Au milieu de son discours, l’enfant royal l’interrompant avec colère :
« Mais alors, crie-t-il, d’être Dauphin, ce n’est rien du tout! »
Et, sans vouloir plus rien entendre, le petit Dauphin se tourne vers la muraille, et il pleure amèrement.
ALPHONSE DAUDET (Lettres de mon moulin.)
Analyse du texte :
La marche suivie par l’écrivain est celle-ci : effets de la maladie du Dauphin dans le royaume, au château, sur le roi et la reine, sur le prince lui-même.
L’agitation au château est rendue à merveille. L’étiquette n’y perd jamais ses droits… mais tout cela, désespoir sur commande, faux sembants. M. Dauphin semble dire : la cour est
l’endroit du monde où tous les dehors sont factices.
Une plainte vraie est celle de l’alezan du Dauphin!… O vanité des vanités!
Et le roi? Il n’ose en public laisser voir sa peine. Que la grandeur a d’exigences! La reine, elle, est mère avant tout, elle sanglote.
Quant au Dauphin, qui n’a pas encore reçu les hautes leçons d’un Bossuet, d’un Fénelon, lui apprenant que les rois comme les autres hommes sont sujets à la mort et que tous sont égaux
devant Dieu, la révélation de la vérité est pour lui foudroyante.
Le morceau se recommande par une fine ironie, par un style mouvementé, toujours simple, sachant se plier aux tons divers que comporte le sujet. Tous les détails sont rendus avec un charme
émouvant et une vérité saisissante. .
source = PARIS LIBRAIRIE LAROUSSE
Le bagage littéraire de la jeune fille
Clarisse JURANVILLE et Pauline BERGER
Huitième édition

………. EXERCICES D’APPLICATION ……….
1. Copiez en écrivant après les adjectifs (épithète) ou (attribut), selon qu’ils sont épithètes ou attributs.
Le petit malade était pâle, avec de grands yeux noirs brillants de fièvre. Ses petites mains étaient brûlantes. Ses lèvres étaientsèches, et il réclamait toujours à boire. Sa faiblesse était extrême. Sa maman inquiète veillait nuit et jour au chevet de son lit.
2. Analysez les adjectifs contenus dans les phrases suivantes.
Le malade est très faible. Une longue convalescence sera nécessaire pour le remettre sur pied. Mais, comme il mange de grandes assiettées de soupe avec un appétit magnifique, il retrouvera ses belles couleurs et sa bonne santé.
3. Copiez en soulignant les adjectifs qualificatifs.
Dans la chambre, maman va et vient d’un pas léger et silencieux. Parfois elle pose sa main fraîche sur mon front brûlant pour voir si la mauvaise fièvre qui me dévore se calme un peu. Elle a tiré les grands rideaux blancs de ma chambre et s’assied en silence à côté de mon lit.
4. Copiez en mettant au singulier les expressions en italiques.
J’ai visité de vieux monuments. Les nuages disparurent, chassés par les vents frais de la nuit. Dans ces pays montagneux, la neige n’est pas rare. Cet artiste a peint de magnifiques tableaux. L’avion survola des pics neigeux.
5. Conjuguez : Je souffre, mais je gu »érirai…
Conjuguez au présent et au passé composé : attendre le médecin.
6. QUESTIONS ORALES :
– 1. Qui appelait-on le Dauphin autrefois? – 2. A quels signes peut-on voir que le Dauphin est malade? – 3. Que demande-t-il à sa mère? Pourquoi la Reine ne répond-elle pas?
7. VOCABULAIRE : – Lisez, épelez, puis écrivez sous la dictée.
La maladie des médicaments le pharmacien une bronchite
la santé une potion un sirop la guérison
la fièvre le médecin une tisane le malade
la convalescence le docteur un rhume la rougeole
8. Employez les mots ci-dessus dans des phrases orales.
9. Copiez en complétant au moyen des mots du vocabulaire :
Paul est … ; il tousse depuis plusieurs jours; aujourd’hui, il avait la … Le médecin est venu; il a ausculté Paul , et il a dit qu’il avait une … Il a ordonné une … que le … a préparée. Paul est au lit pour quelques jours; mais sa … est certaine.
10. Le préfixe ir. – Trouvez le contraire des adjectifs suivants au moyen du préfixe ir. – Ex. : Un geste qui n’est pas réfléchi est irréfléchi.
Un geste qui n’est pas réfléchi est … Un accusé qui n’est pas responsable est … Une figure qui n’est pas régulière est … Un air qui n’est pas respirable est … Un garçon qui n’est pas respectueux est …
11. ORTHOGRAPHE. – I. Le malade a le teint pâle, les yeux fatigués, l’air triste; l’homme en bonne santé a le teint plus coloré, les yeux vifs, l’air joyeux.
II. LA PETITE MALADE. – Maman disait : « Comme elle est gaie! » Mais^papa n’était pas très content. Dans la nuit, elle s’est mise à tousser. Le matin, le médecin est venu. Il l’a regardée, il l’a tapotée par devant et par derrière, en écoutant. Enfin, il a dit qu’elle avait une grosse bronchite, et qu’il fallait faire bien attention.
A. LICHTENBERGER, La petite soeur de Trott. (Plon.)
source
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LANGUE FRANÇAISE
COURS ÉLÉMENTAIRE
L. HARTMANN – E. DUTREUILH