………. LA MORT DU SERGENT PORTE-DRAPEAU HORNUS by Alphonse DAUDET ……….
Les portes de l’arsenal étaient toutes grandes ouvertes pour laisser passer les fourgons prussiens qui attendaient rangés dans la cour. Hornus en entrant eut un frisson. Tous les autres
porte-drapeaux étaient là, cinquante ou soixante officiers, navrés, silencieux; et ces voitures sombres sous la pluie, ces hommes groupés derrière, la tête nue : on aurait dit un
enterrement.
Dans un coin, tous les drapeaux de l’armée de Bazaine s’entassaient, confondus sur le pavé boueux. Rien n’était plus triste que ces lambeaux de soie voyante, ces
débris de franges d’or et de lampes ouvragées, tout cet attirail glorieux jeté par terre, souillé de pluie et de boue. Un officier d’administration les prenait un à un, et, à l’appel
de son régiment, chaque porte-enseigne s’avançait pour chercher un reçu. Raides, impassibles, deux officiers prussiens surveillaient le chargement.
Et vous vous en alliez ainsi, ô saintes loques glorieuses, déployant vos déchirures, balayant le pavé, comme des oiseaux aux ailes cassées! Vous vous en alliez, avec la
honte des belles choses souillées, et chacune de vous emportait un peu de la France. Le soleil des longues marches restait entre vos plis passés. Dans les marques des balles vous gardiez
le souvenir des morts inconnus, tombés au hasard sous l’étendard visé!…
« Hornus, c’est à toi…! on t’appelle…! va chercher ton reçu…! »
Il s’agissait bien de reçu. Le drapeau était devant lui. C’était bien le sien le plus beau, le plus mutilé de tous…
Ivre, éperdu, il s’élança sur l’officier
prussien, lui arracha son enseigne bien-aimée qu’il saisit à pleines mains; puis il essaya de l’élever encore, bien haut, bien droit, en criant : « Au dra… », mais sa voix
s’arrêta au fond de sa gorge. Il sentit la hampe trembler, glisser entre ses mains. Dans cet air las, cet air de mort qui pèse si lourdement sur les villes rendues, les drapeaux ne
pouvaient plus flotter, rien de fier ne pouvait plus vivre… Et le vieil Hornus tomba foudroyé!
Alphonse DAUDET. (Nimes 13 mai 1840- Paris 16 décembre 1897)
(Lettres de mon moulin.)
QUESTIONS
1. Expliquer les expressions : loques glorieuses; déployant vos déchirures; entre vos plis passés.
2. La comparaison: « on aurait dit un enterrement » dans le premier paragraphe, vous paraît-elle exacte? Justifiez votre opinion.
3. Indiquer les contrastes que présentent le 2è et le 3è paragraphes.
4. Nature et fonction des mots bien haut; bien droit;
Source = RECUEIL DES SUJETS DONNÉS AUX EXAMENS DES BREVETS DE CAPACITÉ DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
PARIS LIBRAIRIE VUIBERT