………. LA FAMILLE, LA MAISON, L’ENFANCE. ……….
AUTOUR D’UNE LETTRE DE MON MOULIN
Nous groupons autour d’une page tirée des Vieux, chef-d’oeuvre d’émotion et d’humour léger, quelques textes où les sentiments de famille trouvent leur expression.
Alphonse Daudet a reçu une lettre d’un de ses amis établi dans la capitale. Cet ami n’a pas revu depuis dix ans ses grands-parents qui habitent en Provence à trois ou quatre lieues de chez Alphonse Daudet. Il demande à celui-ci d’aller les voir, de se présenter comme « l’ami de Maurice » de les embrasser tendrement et d’écouter sans rire leur bavardage. Le bon Daudet vient d’arriver dans la petite maison.
En entrant, Mamette (1) avait commencé par me faire une grande révérence, mais d’un mot le vieux lui (2) coupa sa révérence en deux :
– C’est l’ami de Maurice…
Aussitôt la voilà qui tremble, qui pleure, prend son mouchoir, qui devient rouge, toute rouge, encore plus rouge que lui… (2) Les vieux! ça n’a qu’une goutte de sang dans les veines,
et à la moindre émotion elle saute au visage…
– Vite, vite, une chaise… dit la vieille à sa petite. (3)
– Ouvre les volets… crie le vieux à la sienne.
Et, me prenant chacun par une main, ils m’emmènent en trottinant jusqu’à la fenêtre, qu’on a ouverte toute grande pour mieux me voir. On approche les fauteuils, je m’installe entre
les deux sur un pliant, les petites bleues (4) derrière nous, et l’interrogatoire commence :
– Comment va-t-il? Qu’est-ce qu’il fait? Pourquoi ne vient-il pas? Est-ce qu’il est content?
Et patati! et patata! Comme cela pendant des heures.
Moi, je répondais de mon mieux à toutes leurs questions, donnant sur mon ami les détails que je savais, inventant effrontément ceux que je ne savais pas, me gardant surtout d’avouer
que je n’avais jamais remarqué si ses fenêtres fermaient bien ou de quelle couleur était le papier de sa chambre.
  – Le papier de sa chambre!… Il est bleu, madame, bleu clair, avec des guirlandes…
– Vraiment? faisait la pauvre vieille attendrie; et elle ajoutait en se tournant
vers son mari : C’est un si brave enfant.
– Oh! oui, c’est un brave enfant! reprenait l’autre avec enthousiasme.
Et, tout le temps que je parlais, c’étaient entre eux des
hochements de tête, de petits rires fins, des clignements d’yeux, des airs entendus, ou bien encore le vieux qui se rapprochait pour me dire :
– Parlez plus fort… Elle a l’oreille
un peu dure.
Et elle de son côté :
– Un peu plus haut, je vous prie!… Il n’entend pas très bien.
Alors j’élevais la voix; et tous deux me remerciaient d’un
sourire; et dans ces sourires fanés qui se penchaient vers moi, cherchant jusqu’au fond de mes yeux l’image de leur Maurice, moi, j’étais tout ému de la retrouver cette image, vague, voilée,
presque insaisissable, comme si je voyais mon ami me sourire, très loin, dans un brouillard.
ALPHONSE DAUDET (Nimes 13 mai 1840- Paris 16 décembre 1897) Les Lettres de mon moulin E. Fasquelle, Édit. .
1. Manette : est le nom de la « vieille ». Elle n’était pas dans la pièce lorsque l’ami de Maurice est arrivé; mais son mari l’a appelée et la voilà. – 2. Que : son mari. L’auteur nous a dit un peu plus haut qu’en recevant l’ami de Maurice, le vieux était devenu rouge d’émotion. – 3. Petite : Chacun des deux vieux est gardé et servi par une enfant de l’orphelinat voisin. – 4. Bleues : Les petites orphelines portaient une pèlerine bleue.
I. Étude littéraire.
1. Montrez que l’intérêt de ce texte tient à ce que les vieux nous sont présentés à la fois comme légèrement comiques et comme touchants. Dites en quoi ils sont un peu comiques
et en quoi ils sont attendrissants. – 2. Rétablissez les questions sous-entendues que les vieux ont posées à l’ami de Maurice. – 3. Relevez dans les gestes des vieux et dans leurs propos ce qui
dénote la parfaite conformité de leur humeur et de leurs sentiments. – 4. Quelle nuance légère distingue néanmoins Manette de son mari?
II. Vocabulaire et grammaire. – 1. Que veut dire : mais d’un mot le vieux lui coupa sa révérence en deux? (1.2) et : elle saute au visage (1.9).
– 2. Citez des mots de la même famille que révérence et tirez de là le sens précis de ce mot. – 3. Comment est formé le verbe trottiner? Indiquez-en le sens exact. – 4. Quelle
nuance ironique traduit le mot interrogatoire? (1.16). – 5. Mettez un verbe dans la phrase : et cela pendant des heures. (1.19) – 6. Quelle est la valeur de l’imparfait dans :
je répondais? (1.20) – 7. De quel mot sont tirés effronté, effronterie, effrontément; Indiquez le sens exact de ces termes.
III. Composition française.
A) EXERCICE INDIVIDUEL. – Vos grands-parents : En quoi leur affection pour vous se distingue-t-elle de l’affection que vous portent
vos parents? – Comment vous la témoignent-ils? – Comment vous conduisez-vous envers eux?
B) EXERCICE COLLECTIF. – Vous supposerez que le visiteur des « Vieux » écrit à son ami Maurice pour lui raconter son entrevue avec ses grands-parents.
source
LIBRAIRIE HACHETTE
LES TEXTES FRANÇAIS
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE SUPÉRIEUR PRÉPARATION AUX BREVETS 1ère année
J.-R. CHEVALIER Professeur agrégé au Lycée Henri IV P. AUDIAT Agrégé Docteur ès lettres E. AUMEUNIER Professeur de l’École Primaire Supérieure