1. – Nouveau-nés.
Enfants d’un jour, ô nouveau-nés!
Petites bouches, petits nez,
Petites lèvres demi-closes,
Membres trembants,
Si frais, si blancs,
Si roses!
Enfants d’un jour, ô nouveau-nés!
Pour le bonheur que vous donnez
A vous voir dormir dans vos langes,
Espoir des nids,
Soyez bénis,
Chers anges!
Pour vos grands yeux effarouchés
Que sous vos draps blancs vous cachez,
Pour vos souires, vos pleurs même,
Tout ce qu’en vous,
Etres si doux,
On aime!
Pour tout ce que vous gazouillez,
Soyez bénis, baisés, choyés,
Gais rossignols, blanches fauvettes!
Que d’amoureux
Et que d’heureux
Vous faites!
Lorsque sur vos chauds oreillers
En souriant vous sommeillez,
Près de vous, tout bas, ô merveille!
Une voix dit :
Dors, beau petit, Je veille!
C’est la voix de l’Ange gardien;
Dormez, dormez, ne craignez rien,
Rêvez sous ses ailes de neige :
Le beau jaloux
Vous berce et vous
Protège!
Enfants d’un jour, ô nouveau-nés!
Au paradis d’où vous venez,
Un léger fil d’or vous rattache
A ce fil d’or
Tient l’âme encor
Sans tache.
Vous êtes à toute maison
Ce que la fleur est au gazon,
Ce qu’au ciel est l’étoile blanche,
Ce qu’un peu d’eau
Est au roseau
Qui penche.
Mais vous avez de plus encor
Ce que n’a pas l’étoile d’or,
Ce qui manque aux fleurs les plus belles :
Malheur à nous!
Vous avez tous
Des ailes.
ALPHONSE DAUDET
Analyse du texte :
  Tour poétique d’une extrême facilité, sans ombre de recherche. Images gracieuses. L’amour paternel se receuille et, dans une contemplation attendrie, murmure une douce complainte à ce don fait à la terre : le nouveau-né!
  Qu’il est bien dépeint le cher petit être, à peine formé encore, qu’on n’ose effleurer qu’avec des baisers : » Petites lèvres demi-closes, Membres trembants, Si frais, si blancs, Si roses! «
Les vers courts et de rythme changeant se présentent à merveille aux mille nuances du sentiment. Tour à tour le poète admire, bénit, voit plus haut que la terre, l’ange gardien, et ressent ce que n’ont pas éprouvé d’autres poètes : la crainte, l’effroi de perdre son fragile trésor : » Malheur à nous! Vous avez tous Des ailes. »
Il semble impossible d’être plus touchant et de rendre mieux la vérité..
source = PARIS LIBRAIRIE LAROUSSE
Le bagage littéraire de la jeune fille
Clarisse JURANVILLE et Pauline BERGER
Huitième édition