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Lettres de mon moulin, by Alphonse DAUDET Flammarion Dépôt légal 1949

Présentation de l’Editeur


Les premières « Lettres de mon moulin » ont paru, vers 1866, dans un journal parisien où ces chroniques provençales, signées tout d’abord d’un double pseudonyme emprunté à Balzac : « Marie et Gaston » (Gaston désignait Paul Arène), étonnèrent délicieusement. Ensuite Alphonse Daudet resta seul à « moudre des petites histoires » qui devaient, en 1869, être recueillies pour constituer un volume.
  L’ouvrage se vendit alors « péniblement », selon le terme employé par l’auteur, qui n’en proclamait pas moins : « C’est encore là mon livre préféré non pas du point de vue littéraire mais parce qu’il me rappelle les plus belles heures de ma jeunesse, rires fous, ivresses sans remords, des visages et des aspects amis que je ne reverrai plus jamais. »
  Ces contes sont aujourd’hui célèbres à travers le monde et suscident chez nous un intérêt charmé qui se renouvelle à charge génération. Impossible d’analyser brièvement un tel livre. Il nous suffira d’en rappeler quelques fragments qui lui valurent de passer à la postérité. « La chèvre de M. Seguin », qui aimait trop la liberté et devait se livrer ainsi au loup, petit apologue d’une signification toujours actuelle; « L’Arlésienne », qui devait devenir par la suite un grand drame et inspirer le compositeur Bizet; « La mule du Pape » et le coup de pied qu’elle garda sept ans pour se venger d’un vil petit intrigant, Tistet Védène; « Le curé de Cucugnan » et son joli prêche, et l’heureux résultat qui s’ensuivit; « Le sous-préfet aux champs » devenu symbole de l’alliance entre l’administration et la poésie; « Les trois messes basses » ou comment le chapelain de Trinquelage pécha par gourmandise un soir de Noël.
  L’oeuvre entière est égale à ces morceaux désormais classiques. Il en émane un parfum de terroir provençal qui ne s’évanouira jamais, du moins tant que durera la littérature.

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FICHE TECHNIQUE DU LIVRE


Edition :   FLAMMARION

ILLUSTRATIONS DE
HENRY LEMARIÉ

noir & blanc pleine page hors- texte

Dépôt légal : 3e trimestre 1949.

CRÉTÉ, imprimeur, Corbeil. – C. O. L. 31-1631
8881-7-1949
Flammarion et Cie, éditeurs ( N° 1148)

Il a été tiré de cet ouvrage :
Mille exemplaires sur vélin supérieur
numérotés de 1 à 1 000
et cent exemplaires numérotés
de I à C.

Droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays
Printed in France.

Reliure :   reliée sur couverture cartonnée.
Sous jaquette à double volets avec texte, illustrée couleurs in recto.

Livre épuisé chez l’ Editeur

EXTRAIT     IX   L’agonie de la Sémillante.   page 77


L'agonie de la Sémillante. by Alphonse DAUDET

  Encore sous l’impression du lugubre récit que je venais d’entendre, j’essayais de reconstruire dans ma pensée le pauvre navire défunt et l’histoire de cette agonie dont les goélands ont été seuls témoins. Quelques détails qui m’avaient frappé, le capitaine en grand costume, l’étole de l’aumonier, les vingt soldats du train, m’aidaient à deviner toutes les péripéties du drame… Je voyais la frégate partant de Toulon dans la nuit… Elle sort du port. La mer est mauvaise, le vent terrible; mais on a pour capitaine un vaillant marin, et tout le monde est tranquille à bord…
  Le matin, la brume de mer se lève. On commence à être inquiet. Tout l’équipage est en haut. Le capitaine ne quitte pas la dunette… Dans l’entrepont, où les soldats sont renfermés, il fait noir; l’atmosphère est chaude. Quelques-uns sont malades, couchés sur leurs sacs. Le navire tangue horriblement; impossible de se tenir debout. On cause assis par terre, par groupes, en se cramponnant aux bancs; il faut crier pour entendre. Il y en a qui commencent à avoir peur… Ecoutez donc! les naufrages sont fréquents dans ces parages-ci; les tringlots sont là pour le dire, et ce qu’ils racontent n’est pas rassurant. Leur brigadier surtout, un Parisien qui blague toujours, vous donne la chair de poule avec ses plaisanteries.
  – Un naufrage!… mais c’est très amusant, un naufrage. Nous en serons quittes pour un bain à la glace, et puis on nous mènera à Bonifacio, histoire de manger des merles chez le patron Lionetti.
  Et les tringlots de rire…
  Tout à coup, un craquement… Qu’est-ce que c’est? Qu’arrive-t-il?…
  – Le gouvernail vient de partir, dit un matelot tout mouillé qui traverse l’entrepont en courant.
  – Bon voyage! crie cet enragé de brigadier; mais cela ne fait plus rire personne.
  Grand tumulte sur le pont. La brume empêche de se voir. Les matelots vont et viennent, effrayés, à tâtons… Plus de gouvernail! La manoeuvre est impossible… La Sémillante, en dérive, file comme le vent… C’est à ce moment que le douanier la voit passer; il est onze heures et demie. A l’avant de la frégate, on entend comme un coup de canon… Les brisants! les brisants!… C’est fini, il n’y a plus d’espoir, on va droit à la côte… Le capitaine descend dans sa cabine… Au bout d’un moment, il vient reprendre sa place sur la dunette –
en grand costume… Il a voulu se faire beau pour mourir.
  Dans l’entrepont, les soldats, anxieux, se regardent, sans rien dire… Les malades essayent de se redresser… le petit brigadier ne rit plus… C’est alors que la porte s’ouvre et que l’aumônier paraît sur le seuil avec son étole :
  – A genoux, mes enfants!
  Tout le monde obéit. D’une voix retentissante, le prêtre commence la prière des agonisants.
  Soudain un choc formidable, un cri, un seul cri, un cri immense, des bras tendus, des mains qui se cramponnent, des regards effarés où la vision de la mort passe comme un éclair…
  Miséricorde!…
  C’est ainsi que je passai toute la nuit à rêver, évoquant, à dix ans de distance, l’âme du pauvre navire dont les débris m’entouraient… Au loin, dans le détroit, la tempête faisait rage; la flamme du bivac se courbait sous la rafale; et j’entendais notre barque danser au pied des roches en faisant crier son amarre.
 

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EXTRAIT     XI   Le curé de Cucugnan.   page 83


Lettres de mon Moulin by Alphonse DAUDET

  Tous les ans, à la Chandeleur, les poètes provençaux publient en Avignon un joyeux petit livre rempli jusqu’aux bords de beaux vers et de jolis contes. Celui de cette année m’arrive à l’instant, et j’y trouve un adorable fabliau que je vais essayer de vous traduire en l’abrégeant un peu… Parisiens, tendez vos mannes. C’est de la fine fleur de farine provençale qu’on va vous servir cette fois…
 

  L’abbé Martin était curé… de Cucugnan.
  Bon comme le pain, franc comme l’or, il aimait paternellement ses Cucugnanais; pour lui, son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu plus de satisfaction. Mais, hélas! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint ciboire. Le bon prêtre en avait le coeur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d’avoir ramené au bercail son troupeau dispersé.
  Or vous allez voir que Dieu l’entendit.
  Un dimanche, après l’évangile, M. Martin monta en chaire.
  – « Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez : l’autre nuit, je me suis trouvé, moi, misérable pécheur, à la porte du paradis. »
  Je frappai : saint Pierre m’ouvrit :
  « – Tiens! c’est vous, mon brave monsieur Martin, me dit-il; quel bon vent?… et qu’y a-t-il pour votre service?
  – Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis?
  – Je n’ai rien à vous refuser, monsieur Martin; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble.
  Et saint Pierre prit son gros livre, l’ouvrit, mit ses besicles.
  – Voyons un peu, Cucugnan, disons-nous. Cu… cu… Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan… Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme… Pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde.
  – Comment! Personne de Cucugnan ici? Personne? Ce n’est pas possible! Regardez mieux…
  – Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante.
  Moi, pécaïre! je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde. Alors, saint Pierre.
  – Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas ainsi vous mettre le coeur à l’envers, car vous pourriez en avoir quelque mauvais coup de sang. Ce n’est pas votre faute, après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire.
  – Ah! par charité, grand saint Pierre! faites que je puisse au moins les voir et les consoler.
  – Volontiers, mon ami… Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste… Voilà qui est bien… Maintenant, cheminez droit devant vous. Voyez-vous là-bas, au fond en tournant? Vous trouverez une porte d’argent toute constellée de croix noires… à main droite… Vous frapperez, on vous ouvrira… Adessias! Tenez-vous sain et gaillardet. »
 

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EXTRAIT     XII   Les vieux.   page 95


Les vieux, by Alphonse DAUDET

  Tout à coup, le vieux se dresse sur son fauteuil :
  – Mais j’y pense, Mamette…, il n’a peut-être pas déjeuné!
  Et Mamette, effarée, les bras au ciel :
  – Pas déjeuné!… Grand Dieu!
  Je croyais qu’il s’agissait encore de Maurice, et j’allais répondre que ce brave enfant n’attendait jamais plus tard que midi pour se mettre à table. Mais non, c’était bien de moi qu’on parlait; et il faut voir quel branlebas quand j’avouai que j’étais encore à jeun.
  – Vite le couvert, petites bleues! La table au milieu de la chambre, la nappe du dimanche, les assiettes à fleurs. Et ne rions pas tant, s’il vous plaît, et dépêchons-nous…
  Je crois bien, qu’elles se dépêchaient. A peine le temps de casser trois assiettes, le déjeuner se trouva servi.
  – Un bon petit déjeuner! me disait Mamette en me conduisant à table, seulement vous serez tout seul… Nous autres, nous avons déjà mangé ce matin…
  Le bon paetit déjeuner de Mamette, c’était deux doigts de lait, des dattes et une barquette, quelque chose comme un échaudé; de quoi la nourrir elle et ses canaris au moins pendant huit jours… Et dire qu’à moi seul je vins à bout de toutes ces provisions!… Aussi quelle indignation autour de la table! Comme les petites bleues chuchotaient en se poussant du coude, et là-bas, au fond de leur cage, comme les canaris avaient l’air de se dire : « Oh! ce monsieur qui mange toute la barquette! »
  Je la mangeai toute, en effet, et presque sans m’en apercevoir, occupé que j’étais à regarder autour de moi dans cette chambre claire et paisible où flottait comme une odeur de choses anciennes… Il y avait surtout deux petits lits dont je ne pouvais pas détacher mes yeux. Ces lit s, presque deux berceaux, je me les figurais le matin, au petit jour, quand ils sont encore enfouis sous leurs grands rideaux à franges. Trois heures sonnent. C’est l’heure où tous les vieux se réveillent :
  – Tu dors, Mamette?
  – Non, mon ami.
  – N’est-ce pas que Maurice est un brave Enfant?
  – Oh! oui, c’est un brave enfant.
  Et j’imaginais comme cela toute une causerie, rien que pour avoir vu ces deux petits lits de vieux, dressés l’un à côté de l’autre…
  Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’autre bout de la chambre, devant l’armoire. Il s’agissait d’atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’ouverture. Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même; et, monté sur une chaise au grand effroi de sa femme, il essayait d’arriver là-haut… Vous voyez le tableau d’ici, le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’exhale de l’armoire et des grandes piles de linge roux… C’était charmant.
  Enfin, après bien des efforts, on parvint à le tirer de l’armoire, ce fameux bocal, et avec lui une vieille timbale d’argent toute bosselée, la timbale de Maurice quand il était petit. On me la remplit de cerises jusqu’au bord, Maurice les aimait tant, les cerises! Et, tout en me servant, le vieux me disait à l’oreille d’un air de gourmandise :
 

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EXTRAIT     XIII   Ballades en prose : LE SOUS-PRÉFET AUX CHAMPS.   page 103


Le sous-Préfet aux champs, by Alphonse DAUDET

  M. le sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la sous-préfecture l’emporte majestueusement au concours régional de La Combe-aux-Fées. Pour cette journée mémorable, M. le sous-préfet a mis son bel habit brodé, son petit claque, sa culotte collante à bandes d’argent et son épée de gala à poignée de nacre… Sur ses genoux repose une grande serviette en chagrin gaufré qu’il regarde tristement.
  M. le sous-préfet regarde tristement sa serviette en chagrin gaufré; il songe au fameux discours qu’il va falloir prononcer tout à l’heure devant les habitants de La Combe-aux-Fées :
  – Messieurs et chers administrés…
  Mais il a beau tortiller la soie blonde de ses favoris et répéter vingt fois de suite :
  – Messieurs et chers administrés… la suite du discours ne vient pas.
  La suite du discours ne vient pas… Il fait si chaud dans cette calèche!… A perte de vue, la route de La Combe-aux-Fées poudroie sous le soleil du Midi… L’air est embrasé… et sur les ormeaux du bord du chemin, tout couverts de poussière blanche, des milliers de cigales se répondent d’un arbre à l’autre… Tout à coup, M. le sous-préfet tressaille… Là-bas, au pied d’un coteau, il vient d’apercevoir un petit bois de chênes verts qui semble lui faire signe…
  – Venez donc par ici, monsieur le sous-préfet; pour composer votre discours, vous serez beaucoup mieux sous mes arbres…
  M. le sous-préfet est séduit; il saute à bas de sa calèche et dit à ses gens de l’attendre, qu’il va composer son discours dans le petit bois de chênes verts.
  Dans le petit bois de chênes verts il y a des oiseaux, des violettes, et des sources sous l’herbe fine… Quand ils ont aperçu M. le sous-préfet avec sa belle culotte et sa serviette en chagrin gaufré, les oiseaux ont eu peur et se sont arrêtés de chanter, les sources n’ont plus osé faire de bruit, et les violettes se sont cachées dans le gazon… Tout ce petit monde-là n’a jamais vu de sous-préfet, et se demande à voix basse quel est ce beau seigneur qui se promène en culotte d’argent.
  A voix basse, sous la feuillée, on se demande quel est ce beau seigneur en culotte d’argent… Pendant ce temps-là, M. le sous-préfet, ravi du silence et de la fraîcheur du bois, relève les pans de son habit, pose son claque sur l’herbe et
s’assied dans la mousse au pied d’un jeune chêne; puis il ouvre sur ses genoux sa grande serviette de chagrin gaufré et en tire une large feuille de papier ministre.
  – C’est un artiste! dit la fauvette.
  – Non, dit le bouvreuil, ce n’est pas un artiste, puisqu’il a une culotte en argent; c’est plutôt un prince.
  – C’est plutôt un prince, dit le bouvreuil.
  – Ni un artiste, ni un prince, interrompt un vieux rossignol, qui a chanté toute une saison dans les jardins de la sous-préfecture… Je sais ce que c’est : c’est un sous-préfet!
  Et tout le petit bois va chuchotant :
  « C’est un sous-préfet! c’est un sous-préfet! »
  – Comme il est chauve! remarque une alouette à grande huppe.
  Les violettes demandent :
  – Est-ce que c’est méchant?
  – ESt-ce que c’est méchant? demandent les violettes.
 

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EXTRAIT     XXII   L’élixir du Révérend Père Gaucher.   page 159


L'élixir du Révérend Père Gaucher by Alphonse DAUDET

  Le lendemain, au petit jour, le malheureux était à genoux, dans l »oratoire du prieur, et faisait sa coulpe avec un ruisseau de larmes :
  – C’est l’élixir, Monseigneur, c’est l’élixir qui m’a surpris, disait-il en se frappant la poitrine.
  Et de le voir si marri, si repentant, le bon prieur en était tout ému lui-même.
  – Allons, allons, Père Gaucher, calmez-vous, tout cela séchera comme la rosée au soleil… Après tout, le scandale n’a pas été aussi grand que vous pensez. Il y a bien eu la chanson qui était un peu… hum! hum!… Enfin il faut espérer que les novices ne l’auront pas entendue… A présent, voyons, dites-moi bien comment la chose vous est arrivée… C’est en essayant l’élixir, n’est-ce pas? Vous aurez eu la main trop lourde… Oui, oui, je comprends… C’est comme le frère Schwartz, l’inventeur de la poudre : vous avez été victime de votre invention… Et dites-moi, mon brave ami, est-il bien nécessaire que vous l’essayiez sur vous-même, ce terrible élixir?
  – Malheureusement, oui, Monseigneur… l’éprouvette me donne bien la force et le degré de l’alcool; mais pour le fini, le velouté, je ne me fie guère qu’à ma langue…
  – Ah! très bien… Mais écoutez encore un peu que je vous dise… Quand vous goûtez ainsi l’élixir par nécessité, est-ce que cela vous semble bon? Y prenez-vous du plaisir?…
  – Hélas! oui, Monseigneur, fit le malheureux Père en devenant tout rouge… Voilà deux soirs que je lui trouve un bouquet, un arome!… C’est pour sûr le démon qui m’a joué ce vilain tour… Aussi je suis bien décidé désormais à ne plus me servir que de l’éprouvette. Tant pis si la liqueur n’est pas assez fine, si elle ne fait pas assez la perle…
  – Gardez-vous en bien, interrompit le prieur avec vivacité. Il ne faut pas s’exposer à mécontenter la clientèle… Tout ce que vous avez à faire, maintenant que vous voilà prévenu, c’est de vous tenir sur vos gardes… Voyons, qu’est-ce qu’il vous faut pour vous rendre compte?… Quinze ou vingt gouttes, n’est-ce pas?… mettons vingt gouttes… Le diable sera bien fin s’il vous attrape avec vingt gouttes… D’ailleurs, pour prévenir tout accident, je vous dispense
dorénavant de venir à l’église. Vous direz l’office du soir dans la distillerie… Et maintenant, allez en paix, mon Révérend, et surtout… comptez bien vos gouttes.
  Hélas, le pauvre Révérend eut beau compter ses gouttes… le démon le tenait et ne le lâcha plus.
  C’est la distillerie qui entendit de singuliers offices!
 

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EXTRAIT     XXIII   En Camargue.   page 170


En Camargue, by Alphonse DAUDET

  L‘espère! quel joli nom pour désigner l’affût, l’attente du chasseur embusqué, et ces heures indécises où tout attend, espère, hésite entre le jour et la nuit. L’affût du matin un peu avant le lever du soleil, l’affût du soir au crépuscule. C’est ce dernier que je préfère, surtout dans ces pays marécageux, où l’eau des clairs garde si longtemps la lumière…
  Quelquefois on tient l’affût dans le négochin( le nayechien), un tout petit bateau sans quille, étroit, roulant au moindre mouvement. Abrité par les roseaux, le chasseur guette les canards du fond de sa barque, que dépassent seulement la visière d’une casquette, le canon du fusil et la tête du chien flairant le vent, happant les moustiques, ou bien de ses grosses pattes étendues penchant tout le bateau d’un côté et le remplissant d’eau. Cet affût-là est trop compliqué pour mon inexpérience. Aussi, le plus souvent, je vais à l’espère à pied, barbotant en plein marécage avec d’énormes bottes taillées dans toute la longueur du cuir. Je marche lentement, prudemment, de peur de m’envaser. J’écarte les roseaux, pleins d’odeurs saunâtres et de sauts de grenouilles…
  Enfin, voici un îlot de tamaris, un coin de terre sèche où je m’installe. Le garde, pour me faire honneur, a laissé son chien avec moi; un énorme chien des Pyrénées à grande toison blanche, chasseur et pêcheur de premier ordre, et dont la présence ne laisse pas que de m’intimider un peu. Quand une poule d’eau passe à ma portée, il a une certaine façon ironique de me regarder en rejetant en arrière, d’un coup de tête à l’artiste, deux longues oreilles flasques qui lui pendent dans les yeux; puis des poses à l’arrêt, des frétillements de queue, toute une mimique d’impatience pour me dire :
  – Tire… tire donc!
  Je tire, je manque. Alors, allongé de toiut son corps, il bâille et s’étire d’un air las, découragé, et insolent…
  Eh bien! oui, j’en conviens, je suis un mauvais chasseur. L’affût, pour moi, c’est l’heure qui tombe, la lumière diminuée, réfugiée dans l’eau, les étangs qui luisent, polissant jusqu’au ton de l’argent fin la teinte grise du ciel assombri. J’aime cette odeur d’eau, ce frôlement mystérieux des insectes dans les roseaux, ce petit murmure des longues feuilles qui frissonnent. De temps en temps, une note triste passe et roule dans le ciel comme un ronflement de conque marine. C’est le butor qui plonge au fond de l’eau son bec immense d’oiseau-pêcheur et souffle… rrrououou! Des vols de grues filent sur ma tête. J’entends le froissement des plumes, l’ébourifflement du duvet dans l’air vif, et jusqu’au craquement de la petite armature surmenée. Puis, plus rien. C’est la nuit, la nuit profonde, avec un peu de jour resté sur l’eau…
  Tout à coup j’éprouve un tressaillement, une espèce de gêne nerveuse, comme si j’avais quelqu’un derrière moi. Je me retourne, et j’aperçois le compagnon des belles nuits, la lune, une large lune toute ronde, qui se lève doucement, avec un mouvement d’ascension d’abord très sensible, et se ralentissant à mesure qu’elle s’éloigne de l’horizon.
  Déjà un premier rayon est distinct près de moi, puis un autre un peu plus loin… Maintenant, tout le marécage est allumé. La moindre touffe d’herbe a son ombre. L’affût est fini, les oiseaux nous voient; il faut rentrer. On marche au milieu d’une inondation de lumière bleue, légère, poussiéreuse; et chacun de nos pas dans les clairs, dans les roubines, y remue des tas d’étoiles tombées et des rayons de lune qui traversent l’eau jusqu’au fond.
 

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PRODUCT DETAILS
Publisher COLLECTION FLAMMARION    
Numéro de Référence 04
Dépôt Légal Dépôt léga.l : 3e trimestre 1949.
Language Français
Paperback 180 pages
Table des Matières Oui
ISBN-10 Non
EAN Code Barre Non
Item Weight 190 g
Dimensions 125 x 190 x 18 mm

Dans la même collection
EN FAMILLE, by Hector MALOT   SANS FAMILLE by Hector MALOT   WINNETOU l’homme de la prairie, by Charles MAY   LE TRÉSOR des Montagnes rocheuses (Suite), by Charles MAY   LA TRAHISON DES COMANCHES (Suite), by Charles MAY.

LIENS   UTILES
LES ÉDITIONS DE L’ÉCOLE La mort du Dauphin.   Analyse du texte.
LES ÉDITIONS DE L’ÉCOLE Nuit de Noël.
Extrait   Lettres de Mon Moulin
LES ÉDITIONS DE L’ÉCOLE Les sauterelles.
Extrait Lettres de Mon Moulin
LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE L’ENSEIGNEMENT LIBRE TEXTE   DEVOIR Extrait   Les Lettres de mon Moulin.  Page 122
LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE L’ENSEIGNEMENT LIBRE TEXTE   DEVOIR  
LE RETOUR DU TROUPEAU   Extrait   Lettres de mon Moulin.   Lemerre.   Page 63
RECUEIL SUJETS EXAMENS BREVETS DE CAPACITÉ
QUESTIONS   LE DRAPEAU   extrait   Lettres de mon Moulin   Page 31
RECUEIL SUJETS EXAMENS BREVETS DE CAPACITÉ
QUESTIONS   LA MORT DU SERGENT PORTE-DRAPEAU HORNUS  
Extrait   Lettres de mon Moulin   Page 5
LIBRAIRIE GEDALGE   NOUVELLES LECTURES La Chèvre de M. SEGUIN   Analyse du texte.
FORUM   LIVRES D’ENFANTS Les moulins dans les livres d’enfants   Discussions générales. Ven 10 Jan 2025 – 14:31
GALLERY   CARTES POSTALES Le moulin de DAUDET
PARIS   LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie   1909 BIOGRAPHIE Alphonse DAUDET
Alphonse DAUDET

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alphonse_Daudet

Alphonse Daudet, né le 13 mai 1840 à Nîmes et mort le 16 décembre 1897 à Paris, est un écrivain et auteur dramatique français notamment connu pour sa pièce de théâtre La Dernière Idole et son livre Lettres de mon moulin qui contient plusieurs histoires courtes connues, comme La Chèvre de monsieur Seguin. LIRE LA SUITE

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