A. DAUDET (1840-1897).
Alphonse Daudet est né à Nimes en 1840, un fin Méridional, nature souple, nerveuse, séduisante, a subi l’influence de MM. Zola et de Goncourt. Ce n’a pas été toujours pour son bien : mais le mal, en somme, n’est pas grave, et son œuvre met suffisamment en lumière son originalité. Lui aussi, il a eu des calepins noirs de notes; lui aussi, il a déversé ses notes dans ses romans; on y a trouvé le fait-divers, le procès scandaleux de la veille ou de l’avant-veille. Lui aussi, il a pris une gravité de médecin consultant, il a tâté le pouls à la socièté; on l’a vu déposer en justice comme un expert en psychologie, dont la consultation fait preuve.
Mais M. Daudet avait trop de spontanéité pour que ses théories pussent gâter son talent : et il nous a donné quelques-uns des plus touchants, des plus séduisants romans que nous ayons. Tout ce qui est dans son œuvre impression personnelle et vécue, non pas seulement chose vue, mais chose sentie, ayant fait vibrer son âme douloureusement ou délicieusement, tout cela est excellent : il a été supérieur dans la description de tout ce qui intéressait sa sympathie. L’impersonnalité du savant n’a jamais été son fait : mais il a su objectiver sa sensation, remonter à la cause extérieure de son émotion, et, domptant le frémissement intérieur de son être, que l’on sent toujours et qui prend d’autant plus sur nous, il s’est appliqué à noter exactement l’objet dont le contact l’avait froissé ou caressé. Il est arrivé a faire une œuvre objective, et point du tout impersonnelle. Provençal, il a décrit la Provence, son soleil, ses paysages, depuis le caricatural Tartarin (Tartarin de Tarascon), jusqu’au très réel Roumestan ( (Numa Roumestan). Ayant vécu à Lyon et à Paris, dans les quartiers populeux, parmi la petite bourgeoisie, ayant peiné, et longtemps coudoyé les gens qui peinent, commerçants, employés, ouvrières, il a représenté les vieilles maisons, les rues bruyantes de Lyon et de Paris, Et dans Le Petit Chose, Jack, Fromont jeune et Risler aîné, de la vie laborieuse et tumultueuse des fabriques, les durs combats pour arriver aux échéances ou atteindre le jour de paye, l’effort journalier, épuisant, contre la misère, des coins du Nabab et de l’ Évangéliste sont d’exquises et fortes peintures de la vie bourgeoise et presque populaire. M. Daudet a l’intuition psychologique et la bonne méthode : il a su fabriquer son œuvre avec son expérience intime, sans étaler son moi . Il se pourrait bien que la vraie poésie réaliste, que nous cherchions précédemment, ce fût lui qui l’eût trouvée.
Enfin, M. Daudet a tenté aussi de grandes études historiques de mœurs contemporaines : le monde du second empire dans le Nabab, le monde des souverains en déplacement ou en disponibilité dans les Rois en exil, le monde de l’Institut dans l’Immortel. Ce dernier roman est une complète erreur; mais les précédents, dans le décousu et l’incohérence de leur composition, présentent d’admirables parties. M. Daudet, finement et nerveusement, a su rendre certains aspects du Paris d’il y a trente ans, aspects de la ville, aspects des âmes; il a dessiné de curieuses et vivantes figures : il a rendu aussi, en scènes touchantes ou grandioses, l’idée que de loin, par les indiscrétions des journaux ou la publicité des tribunaux, nous pouvons nous faire des existences princières dans les conditions que le temps présent leur fait. Mais il a donné des analyses plus serrées et plus poignantes, dans ce roman de l’Évangéliste, où il a dépeint le ravage du fanatisme religieux dans certaines âmes contemporaines. Dans son écriture, comme on dit, un peu hâtive, trop voisine parfois des documents du calepin, c’est là vraiment une œuvre forte. Il a réussi peut-être encore mieux dans Sapho, sujet scabreux et navrant, qu’il a traité avec une délicatesse, une force, une sûreté incomparables.
source = PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
1909
ONZIÈME ÉDITION REVUE
Page 1083
OUVRAGES Alphonse DAUDET
LETTRES DE MON MOULIN.
Nelson, Éditeurs
Introduction par Charles Sarolea.
L’ART de conter est un art tout français et en France nul n’excelle dans cet art comme les Méridionaux, et parmi les Méridionaux nul conteur n’a atteint la maîtrise d’Alphonse Daudet, et parmi les œuvres de Daudet nulle n’est comparable aux Lettres de mon moulin.
Les Lettres de mon moulin, c’est la Provence tout entière, son atmosphère, sa lumière, sa couleur, ses parfums, la Provence d’aujourd’hui et la Provence du bon Roi René et la Provence des Papes, le plus beau royaume que Dieu ait jamais créé, après son royaume du ciel. Les
Lettres de mon moulin, c’est surtout l’âme provençale, l’esprit de la race, ses qualités et ses défauts, ses souvenirs et ses traditions, son imaginaton exubérante, sa faconde, sa gaîté pétillante et, tout à la fois, sa mesure, sa sobriété, son eurythmie classique. Ce livre si provençal, si original, si plein de couleur locale, écrit par le compatriote de Tartarin et de Mistral, est devenu le livre de tous les âges et de tous les pays, délice des enfants, régal des vieillards, livre vraiment classique et universel.
les Amoureuses (1858) volume de vers; Lettres de mon Moulin (1869); Contes du lundi (1873).
Editions :
Fromont jeune et Risler aîné (1874), le Nabab (1877), Sapho (1884), : Charpentier, in-18;
Jack (2 vol., 1876);
les Rois en exil (1879), l’
Évangéliste (1883), : Dentu, in-18;
le Petit Chose (1868), : Hetzel, in-18, et Lemerre, pet. in-12;
l’Immortel (1880), : Lemerre, in-18;
Théâtre, :
Charpentier, 2
vol. in-18, 1880-1896. Collection Guillaume, illustrée, Flammarion, 13 vol. in-18.
– A consulter : A. Daudet, Trente ans de Paris (1880), Souvenirs d’un homme de
lettres (1888), : Coll. Guillaume;
F. Brunetière, le Roman naturaliste; Doumic, Portraits d’écrivains.