– L’agonie de la Sémillante, by Alphonse DAUDET.
Au siècle dernier, une frégate chargée de troupes… Elle porte un joli nom qui signifie « la brillante, l’élégante ». Hélas! la mer est mauvaise et le vent terrible.
1. Le matin, la brume de mer se lève. On commence à être inquiet. Tout l’équipage est en haut.
Le capitaine ne quitte pas la dunette…(1) Dans l’entrepont, où les soldats sont renfermés, il fait noir; l’atmosphère est chaude. Quelques-uns sont malades, couchés sur leurs sacs. Le navire
tangue horriblement; impossible de se tenir debout. On cause assis par terre, par groupes, en se cramponnant aux bancs; il faut crier pour entendre. Il y en a qui commencent à avoir peur…
Ecoutez donc! les naufrages sont fréquents dans ces parages-ci; les tringlots (2) sont là pour le dire, et ce qu’ils racontent n’est pas rassurant. Leur brigadier surtout, un Parisien qui blague
toujours, vous donne la chair de poule avec ses plaisanteries.
– Un naufrage!… mais c’est très amusant, un naufrage. Nous en serons quittes pour un bain à la glace, et puis on
nous mènera à Bonifacio, histoire de manger des merles chez le patron Lionetti.(3)
Et les tringlots de rire…
2. Tout à coup, un craquement… Qu’est-ce que c’est?
Qu’arrive-t-il?…
– Le gouvernail vient de partir, dit un matelot tout mouillé qui traverse l’entrepont en courant.
– Bon voyage! crie cet enragé de brigadier.
mais cela
ne fait plus rire personne.
Grand tumulte sur le pont. La brume empêche de se voir. Les matelots vont et viennent, effrayés, à tâtons… Plus de gouvernail! La manoeuvre est
impossible… La Sémillante, en dérive, file comme le vent… C’est à ce moment que le douanier la voit passer; il est onze heures et demie. A l’avant de la frégate, on entend comme un coup de canon…
Les brisants! les brisants!… (4) C’est fini, il n’y a plus d’espoir, on va droit à la côte… Le capitaine descend dans sa cabine… Au bout d’un moment, il vient reprendre sa place sur la dunette –
en grand costume… Il a voulu se faire beau pour mourir.
3. Dans l’entrepont, les soldats, anxieux, se regardent, sans rien dire… Les malades essayent de se redresser… le petit
brigadier ne rit plus… C’est alors que la porte s’ouvre et que l’aumônier paraît sur le seuil avec son étole :
– A genoux, mes enfants!
Tout le monde obéit. D’une voix
retentissante, le prêtre commence la prière des agonisants.
Soudain un choc formidable, un cri, un seul cri, un cri immense, des bras tendus, des mains qui se cramponnent, des regards
effarés où la vision de la mort passe comme un éclair…
Miséricorde!…
C’est ainsi que je passai toute la nuit à rêver, évoquant, à dix ans de distance, l’âme du
pauvre navire dont les débris m’entouraient… Au loin, dans le détroit, la tempête faisait rage; la flamme du bivac se courbait sous la rafale; et j’entendais notre barque danser au pied des
roches en faisant crier son amarre.
ALPHONSE DAUDET (Nimes 13 mai 1840- Paris 16 décembre 1897) Extrait Lettres de mon moulin .
1.) la dunette : Partie du navire située à l’arrière et plus élevée que le reste du pont.
2.) les tringlots : Surnom donné aux soldats du « train des équipages », le service des transports dans l’armée.
3.) La Sémillante navigue dans les parages de la Corse.
4.) Les brisants : Les rochers à fleur d’eau.
Le terrible drame de l’agonie de la Sémillante est à lire en entier dans les Lettres de mon moulin. Il illustre les dangers de la mer, ces dangers souvent mortels qui ont inspiré
à Victor Hugo les vers suivants :
Oh! combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont évanouis!
Combien ont disparu, dure et triste fortune!
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune
Sous l’aveugle Océan à jamais enfouis…
………. ÉTUDIONS LE TEXTE ……….
1. où se trouve le capitaaine?
Pourquoi? Décrivez les soldats dans l’entrepont. Ont-ils tous peur? Que dit le brigadier? La plaisanterie amuse-t-elle les soldats?
2. Quel événement se produit à ce moment?
Cet événement a-t-il de graves conséquences pour la suite? Que fait finalement le capitaine? Pourquoi?
3. Décrivez les soldats.
Que peuvent-ils penser à l’arrivée de l’aumônier? Pourquoi l’auteur conclut-il par le mot « Miséricorde »?
………. SERVONS-NOUS DU TEXTE ……….
Un vieux berger a vu la Sémillante se briser sur les récifs. Il raconte le drame. Prenez sa place pour raconter. (Notez qu’il ignore les détails
des derniers instants à l’intérieur de la frégate).
Un tringlot a échappé à la mort. Il écrit à ses parents pour raconter l’agonie de la Sémillante.
Rédigez sa lettre.
source
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